Le moment venu [privé]

Devant tous, le Maître l’avait dit. Devant tous, il avait louangé Haku pour son bon travail. Il avait posé sa grosse main sur la petite épaule de l’adolescent et l’avait regardé dans les yeux.

"Tu es prêt."

Ne sachant quoi répondre, Haku l’avait observé avec ses grands yeux verts et avait hoché tranquillement la tête. Tous, ils avaient applaudit. Pour la première fois, Haku ferait partie de Revolta. Pour la première fois, il était membre d’un groupe. Pour la première fois, il s’était senti important.

Il s’était longtemps préparé. Son poignet foulé n’était plus qu’entouré d’un bandage blanc sale qui entourait également une partie de sa main. Pour ne pas dévoiler sa faiblesse, Haku avait bandé son autre poignet. Il ne portait plus de simples bandages, mais plutôt des bandages d’entraînement. Bien entendu au combat, se serait une autre histoire, mais au moins, il ne s’affichait point comme blessé dès le début. Pourquoi cette ruse? Haku avait reçu comme mission de suivre quelqu’un et de tuer cette même personne lorsque le moment viendrait.

Le moment était venu. La cible de Haku pénétrait dans le cimetière. Le jeune homme ignorait pourquoi et en vérité, il ne tenait pas à le savoir. Un cimetière, c’était un parfait endroit, surtout à cette heure tardive. Le soleil était couché depuis plusieurs heures déjà et il n’y avait personne dans les parages, à l’exception de Haku et de sa future victime. L’espion suivait sa cible de loin, en se cachant derrière des pierres tombales. Silencieux comme un félin, l’herbe vibrait à peine sous ses pas. Habillé tout de noir, Haku se fondait au décor. Lorsque l’homme s’arrêta, Haku s’arrêta également. Tapis sur le sol, il rampa tel un lion guettant sa proie pour s’approcher. Il fallait attendre le bon moment pour attaquer.

Il y avait quelques jours de cela, lorsque l’on avait imposé cette mission à Haku, tous, ils avaient joué le jeu. Tous ceux qui savaient biensur. Tous ceux qui savaient que Haku ne servait en fait à rien de plus qu’un test. Si l’ennemi vainquait, ce qui était quasiment assuré, alors Revolta saurait davantage à quoi s’attendre. Si au contraire Haku parvenait à accomplir sa mission, alors peut-être, je dis bien peut-être, deviendrait-il plus qu’un simple homme de main pour le Maître. Seulement, une chose demeurait : l’adolescent s’était laissé avoir par des mensonges et risquait de payer pour.

Elle était partie.
Pourtant, il se rattachait aux souvenirs que portait cette pierre tombale. Fallait-il qu'il vienne la voir, just'après avoir refusé sa couche à une femme ? Oui, c'était mieux. Il ne devait pas se salir du contact d'une autre avant de la revoir, elle.
Il se rappelait vaguement de ses cheveux noirs, plus sombres qu'une nuit sans lune, dont les reflets du sleil étaient comme des étoiles épinglées à le vue de tous. Il se rappelait aussi de ses yeux d'un gris bleuté, comme de l'argent illuminé. Sa main passait, là, dans ses cheveux, tandis que ses yeux fixaient les siens et que ses lèvres hésitaient à se porter aux siennes. Il se rappelait son sourire, tandis qu'elle placait sa prpore main entre leurs deux bouches... Et sa voix, que son rire suivait...

"Voyons mon grand... De quel droit devrais-je vous donner mon baisé ?"

Et il n'avait jamais pu répondre à cette question. Après tout, maintenant, avait-elle de l'importance ?

Il était un ange... Ou plutôt, il avait été un ange. Un des Magnifique, un Séraphin, puissant combattant... Eu-t-il fallut que sa vie angélique fut battie sur les décombre d'une vie encore plus belle ? Que lui importait l'immortalité alors qu'il ne voyait plus ce regard ! Pourtant, ce regard, ne le trahissait-il pas, parfois, essayant de le retrouver dans celui d'une autre ?
Il s'agenouilla. Sa main se porta au ruban de tissu qui entourait son poignet. Elle le détacha et le posa sur le marbre poli, que même le temps ne venait salir. Ses doigts retracèrent les lettres gravées, décorées d'or, que là, par contre, le temps avait effacée...

Ci-git
Son corps fut prit par la tere, celle ci ne le rendit pas
Puisse son souvenir perdurer en nos mémoire

Il se releva, l'ourlet de sa veste sombre caressant le sol. Il baissa le visage et ferma les yeux. Que voyait-on sur son visage ? N'y avait-il pas là presque l'ombre d'un souvenir de peine ? Non... il ne pouvait plus ressentir de peine pour ça. Il releva son visage d'une blancheur pure, aussi droit qu'un rayon de lune, et laissa cet astre l'illuminer, et ses yeux s'ouvrirent.
Puisse-t-il y avoir une couleur plus significative de la douleur que l'ecchymose incarnée ? Peut-être le sang... Mais là, cette couleur de crépuscule, de déclin non achevé... C'était trop poignant.
Il se retourna, ses bottes raclant la terre, ses 6 ailes s'agitant nerveusement.

Non. Bien sur...
Il ne pouvait pas être seul ici. Pas dans l'endroit où seul les morts vivaient encore. Etait-ce une malédiction qui le poursuivait ? La solitude était pour une camériste fidèle, une amante trop connue. Devait-elle réellement le quitter ici ? cela n'avait plus d'importance. Il ne l'entendait pas, ne le voyait pas. C'était son don d'ange. Sa camériste absente, sa non-présence était remplacée par autre chose et ça, il le sentait, sans pouvoir se dire le savoir.

"Relève-toi de ta cachette, montre à ton ennemi ton visage, sauf si tu es lâche." sa main se porta instinctivement à la garde de sa lame...

L’homme s’était retourné. Il allait repartir? Déjà? Haku le suivait du regard, ses yeux de chats luisaient dans la pénombre. Serait-il à la hauteur? Cet homme, avec ses six ailes et ses centimètres de plus, Haku arriverait-il à le terrasser? L’homme demeurait immobile. Voilà qui n’était pas bon signe, peut-être avait-il repéré le garçon? Pourtant, il avait fait attention à ne faire aucun bruit. Alors que l’inquiétude commençait à le prendre à la gorge, le jeune croisé remarqua l’arme de l’homme, toujours rangée dans son fourreau.

"Relève-toi de ta cachette, montre à ton ennemi ton visage, sauf si tu es lâche."

Le sang de Haku semblait se glacer dans ses veines. Alors il l’avait vu, il savait qu’il était caché quelque part près de lui. Son effet de surprise était gâché. Le cœur du gamin voulait lui défoncer la poitrine tant la nervosité l’agitait.

*Calme-toi, calme-toi…*

Haku avait en tête le visage d’Amara. Il ferma les yeux un bref instant et respira le plus lentement possible. Lorsqu’il rouvrit les yeux, il était un peu plus calme.

*T’es pas un lâche Haku, debout!*

S’il ne menait pas à terme cette mission, il gâchait ses chance de rejoindre sa sœur dans Revolta, il perdait la confiance du Maître et il ruinait ses chance de connaître un avenir meilleur. Il avala difficilement, puis se leva. Ses bras bandés étaient raides de chaque côté de son corps, ses griffes brillaient dans la pénombre, ses pieds nus s’accrochaient à la terre et ses yeux fixaient son ennemi, ce sombre ange.

"Je suis venu pour vous tuer." Affirma t-il en relevant la tête.

Haku semblait sûr de lui. Il ne fallait pas montrer ses faiblesses à l’ennemi.

*Je peux y arriver, je peux le vaincre.* Se répétait-il.

Sans avertir, le garçon fonça sur l’ennemi, et plongea au niveau de sa taille vers la gauche en pointant les griffes de sa main droite vers l’abdomen de l’homme. Au moment du plongeon, Haku ne touchait plus le sol. Le mouvement avait été exécuté avec rapidité, contrôle et puissance. Son erreur : le choix du côté. En plongeant à gauche, il devait utiliser sa main droite. Pas de chance, c’était celle dont le poignet était foulé.

Un enfant.
C'était un enfnat qu'on envoyait pour le tuer ? N'était-ce pas plutôt une façon simple de masquer un meurtre ? Ce gamin savait-il seulement à qui il s'attaquait ? Devant la stupidité et la futilité d'un tel acte, Erwan faillit détruire son image de chef innexpressif. Il écarquilla les yeux et le coin de ses lèvres se releva, comme pour sourire ou, qui sait, se préparer à montrer des crocs qu'il ne possédait pas.
L'ange avait la carrure que permettait de posséder une vie de plusieurs miliers d'années, un physique angélique et des manières de chef sur ses gardes. Il était le chef des Kangoku, il était le plus influent des Générals de Zanshisuru, il possédait trois magies dont une attrait à la mort... Et on envoyait un enfant le tuer ? Un adolescent tout juste adulte ? Il aurait presque pu s'en sentir insulté si la situation n'aurait pas été si risible.

Mais ce qui l'étonna, se fut la réaction de son assassin.
Etait-il fou ? Ne savait-il donc réellement pas à qui il s'attaquait pour oser ainsi y aller franchement ? Erwan se déplaca d'un saut sur le côté, ouvrant largement ses ailes pour montrer la possibilité de force qu'il possédait.

"Ah oui ?" Sa voix était atone, comme un soupir dans le froid de l'hiver. "Et qu'est-ce qui te fait penser que tu y parviendras ?" Erwan leva sa main droite, serrant un poing autour duquel un étrange nuage se développait. Le Froid nacquit, englobant une main d'albâtre blanche, pour lequel l'air ambiant était une brûlure. "Vient donc essayer, tu y perdras plus que la vie. Ne sais-tu donc pas qui est ta cible pour oser ainsi l'attaquer ?" Il ouvrit la main. Au dessus de sa peau une flamme blanche dévorait la chaleur de l'air pour créer un froid mordant qui, rapidement, entoura l'ange, gelant sous ses pieds la terre...

Tête première, Haku plongea vers le sol, roula sur son dos et se retrouva sur ses pieds à nouveau avec la grâce du chat. Il avait raté sa cible et s’en trouvait un peu déboussolé. Il se retourna pour faire face à son adversaire. C’était la première fois qu’il manquait son coup de façon aussi flagrante, mais Haku n’allait pas laisser tomber aussi rapidement. Il se tenait toujours en position de combat, près à frapper à nouveau. C’était sa chance, il ne fallait pas la rater. Il devait à tout prix accomplir cette mission qu’on lui avait confiée. Si le Maître lui avait demandé de le faire, c’est qu’il croyait Haku capable de le faire!

Pauvre Haku, il avait beau se battre mieux que plusieurs adultes de Revolta, il était toujours aussi naïf qu’un enfant, aveuglé par le désir de se trouver une place en ce monde, un but, une quête; pour vivre. Et cet homme, là devant lui, représentait l’atteinte de ce but à ses yeux. Haku avait placé sa confiance en un homme qui lui avait menti et qui s’était servi de lui.

Rien que la voix de l’homme qu’il devait tuer faisait frissonner Haku. Des frissons de peur qui lui parcourait la colonne vertébrale. Lorsque le poing du chef s’éleva dans les airs, Haku le suivit des yeux et fonça les sourcils. C’était quoi cette magie? Haku demeurerait scotché au sol, incapable de bouger.
Qui il était? Non... À vrai dire, Haku n'en savait rien.

*De toute façon j'm'en fiche, ca va pas m'empêcher de le tuer, comme tous les autres.*

La mâchoire serrée, le regard perçant, les griffes sorties prêtes à déchirer la chaire, Haku fonça à nouveau vers l’homme entouré de cette mystérieuse flamme blanche, froide comme la mort. Il bondit vers l’homme, prêt à tuer, prêt à lui ouvrir la gorge.

Des frissons.
Il les vit de déployer sur le corps du jeune homme, sentit la peur s'infiltrer dans ses yeux, noirdir sa confiance, briser le fondations de son être. Il sentit cela grâce à sa nature, sa race, son expérience, grâce à ce qu'il était et qui avait fait de lui un être si effrayant dans le passé. Il vit la peur naître puis disparaître, ne laissant la place qu'à une confiance en soi toute aussi risible, intouchable pour un moment, solide.

L'ange percut le frémissement des muscles qui annonçait une attaque. Il esquiva, mais de peu. Alors, une autre attaque fut sur lui et, s'attendant à celle là plus qu'aux autres, l'évita avec aisance.
Depuis quand avait-il donc tant confiance en lui, au point de croire que personne ne s'attaquerait à lui ? ... Il avait confiance en lui parce qu'il se savait fort, savait ce qu'il était mieux que personne. Mais il ne connaissait pas la stupidité d'un bon nombre d'ennemis qui essayaient de s'attaquer directement à lui. Il soupira, s'arcant et s'arcant encore pour ne pas se faire griffer par les griffes de ce chat-humain.
Puis, d'une impulsion de gens, il sauta en l'air, l'accrocha et s'envola assez haut pour que les bonds du chaton ne viennent pas lacérer ses bottes.

*Pauvre chat... Ta mort ne m'apportera rien. Ton concours le peut peut-être*

Devait-il le tuer, user d'un pouvoir parce qu'il le pouvait ? Ou au contraire le laisser vivre et augmenter la force de son camp ? La réponse était claire et simple : montrer sa force et s'allier, en faire un ami et une arme certaine.
L'ange réunit ses mains et ferma les yeux. Puis il se mit à murmurer. Murmurer encore et encore, randant grâce et rocailleuse sa voix, glissant sur des mots d'un âge ancien. Une ombre de noirceur entour ses mains.
Nhaar zorglish, nhaar in glesh, tu'ur lobfrech
Et le silence du cimetière s'emplie de craquements sinistres.

L'un des pouvoirs de l'ange ? La nécromancie. Et il était un nécroman assez puissant, ayant derrière lui une connaissance de la mort assez élevée étant lui-même mort deux fois. Il avait aussi l'âge. Il avait l'expérience de ses pouvoirs, mais préférant de loin la magie de la glace. Qui y'avait-il de plus beau que de voir le glace se répandre, mordre la terre ? Le givre prendre sous lui l'herbe, la chair, les randant fragiles et cassantes ? Il aimait le froid pour sa douceur et son arôme, il aimait le froid pour la délicatesse de sa force.
Mais il admirait aussi un peu la nécromancie pour les capacités de frayeur qu'elle infusait dans la confiance de l'ennemi. Et puis, c'était un pouvoir qui se révélait interessant à exploiter sur le champ de bataille. Qu'y-a-t-il de pire pour un ennemi que de voir les victoires de la veille se révéler en défaite le lendemain ? Et, le plus pratique, c'est que les morts-vivants étaient des créatures invisbles sauf si on leur coupait la tête. Ils étaient très obéissant aussi.

Ne tuez pas, capturez.

L'ange descendit alors, rejetant sa veste en même temps, et repliant ses ailes, prêt à se battre à mains nues avec le chaton, quoi qu'il douta un peu de ses capacités dans cet art... Et, comprenant que son ennemi ne connaissait réellement pas son identité, il choisit de faire de cette ignorance une arme de plus.

"Je vais te donner un indice. On me nomme l'Epée d'Azure."

A son poignet, d'ailleurs, pendait le rubant clair qui lui valait son nom...